Le sèche-mains électrique, un aérosol à microbes ?
L’autre soir, après le digestif, vous êtes descendu aux toilettes du restaurant pour vous laver les mains avant de les passer sous le sèche-mains électrique. Vous avez apprécié la caresse de l’air chaud en pensant au froid qui vous attendait dehors et vous êtes dit que, décidément, la technologie avait du bon. En réalité, il est fort possible que ce soit à cet instant précis que vous ayez attrapé la gastro-entérite qui allait vous clouer au lit une semaine durant.
Pour de nombreux spécialistes de l’hygiène, les sèche-mains électriques sont une véritable hérésie sanitaire, raison pour laquelle ils sont bannis des milieux hospitaliers ou de l’agro-alimentaire. Dans les bars, restaurants, cinémas, stations services, etc., la solution électrique continue pourtant d’être pratiquée, en raison d’un coût d’entretien nettement inférieur aux serviettes de papier à usage unique.
Dans un ouvrage publié en 2007, On s’en lave les mains, Frédéric Saldmann, médecin à l’hôpital Georges-Pompidou, mettait déjà en garde contre ces véritables « aérosols à microbes ». « Le lavage des mains est très important. Mais si on ne les lave pas extrêmement consciencieusement, il reste des germes entre les doigts, près des ongles et des bijoux. Or le sèche-mains électrique fait voler les microbes vers le visage et on les inhale aussitôt. Quand je rencontre un de ces sèche-mains dans un bar, je m’essuie sur ma chemise », confie-t-il.
Les endroits oubliés lors du lavage des mains :
Fabien Squinazi, chef du laboratoire d’hygiène de la ville de Paris et co-auteur de l’ouvrage, abonde dans le même sens. « On a comparé en laboratoire les différentes techniques de lavage et de séchage des mains. Il en ressort que la plupart des séchoirs électriques sont contaminés. Ils aspirent l’air ambiant, chargé de bactéries, particulièrement dans des lieux aussi sensibles que les sanitaires, et les projettent sur vos mains. En d’autres termes : vous décontaminez vos mains au lavage et les recontaminez au séchage », résume-t-il. S’il n’est pas question d’interdire les séchoirs électriques, ce spécialiste de l’hygiène déconseille vivement leur utilisation en période d’épidémie, comme la vague de gastro-entérite qui sévit en ce moment. En d’autres termes, ne faites jamais ça !
Autre problème : le débit d’air est souvent insuffisant, et après trente secondes sous l’air chaud, les gens perdent patience et repartent les mains humides. Or, les bactéries et les microbes prolifèrent en milieu humide, raison pour laquelle un essuyage mécanique avec du papier ou du tissu reste de loin la solution la plus efficace.
Une étude (lien PDF) de l’université de Westminster a en effet montré que les essuie-mains en papier éliminent 90 % de l’humidité en dix secondes, tandis que les séchoirs à air chaud classiques laissent 53 % d’humidité après quarante secondes. Les serviettes à usage unique feraient en outre disparaître entre 51 % et 76 % des bactéries sur les doigts, tandis que le système électrique les augmenterait de 194 % ! Las, l’étude ayant été commandée par l’Association européenne des industries du papier d’hygiène (European tissue paper indutry association), ses résultats ne peuvent être considérés comme une base scientifique suffisamment solide pour prendre des mesures de santé publique.
C’est d’ailleurs sur cette absence d’études crédibles que se fonde le ministère de la santé pour justifier l’absence de recommandation sur le sujet. « C’est un faux débat, proteste-t-on à la Direction générale de la santé (DGS). Il est évident qu’une serviette propre et à usage unique est idéale, le sèche-mains électrique est ce qu’il est. Mais il ne faut pas rêver, il y a des contraintes économiques. Et il ne faudrait surtout pas que les gens pensent qu’il ne faut plus se laver les mains dans les lieux publics. C’est primordial ! »
Les autorités sont néanmoins conscientes de l’avantage hygiénique de la serviette à usage unique sur le séchoir. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Assistance publique des hôpitaux de Paris ont émis des recommandations déconseillant les sèche-mains électriques en milieu hospitalier. Dans sa brochure (lien PDF) sur l’hygiène des mains, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé indique clairement : « Séchez-vous les mains si possible avec un essuie-mains à usage unique ».
Brochure de l’INEP.INEP
Les sèche-mains à air pulsé inventés par Dyson présentent des garanties largement supérieures aux séchoirs classiques. Ils sont équipés d’un filtre HEPA (High Efficiency Particulate Air) qui retient les bactéries, évacuent l’eau des mains en une dizaine de secondes et ne renvoient pas l’air au visage de l’utilisateur : ceux-là échappent partiellement aux critiques des spécialistes de l’hygiène. La marque ne se prive d’ailleurs pas de rappeler sur son site le caractère « anti-hygiénique » de ses concurrents.
Si elle reconnaît de bout des lèvres que les sèche-mains classiques sont loin d’offrir toutes les garanties d’hygiène qu’on serait en droit d’attendre, la DGS redoute qu’un tel débat éloigne les gens des lavabos, alors que la gastro-entérite fait en ce moment des ravages, et appelle au respect des gestes barrière.
Fabien Squinazi a mené une expérience sur le rôle de l’hygiène dans la transmission de la gastro-entérite. Un individu contaminé a serré la main à plusieurs personnes sans s’être lavé les mains au préalable. Il a contaminé les deux-tiers des mains des cobayes, et on a retrouvé ses germes fécaux dans la bouche d’un tiers. « En période d’épidémie, il est essentiel de se laver régulièrement les mains », martèle-t-il.
Dans les hôpitaux, il n’est aujourd’hui pas plus question de serviettes en papier que de sèche-mains électriques, puisqu’il n’est même plus question de se laver les mains. Dans certains établissements, les points d’eau avec savon et serviettes en papier commencent même à disparaître des chambres, raconte Brigitte Mangin, cadre hygiéniste à l’hôpital Georges-Pompidou. « On ne préconise plus le lavage en milieu hospitalier : la friction avec une solution hydro-alcoolique est bien plus efficace », précise-t-elle. Sans compter qu’elle ne nécessite aucun séchage…
Les citoyens écoresponsables et soucieux de leur hygiène vont néanmoins se trouver face à un dilemme de taille : une étude (lien PDF) commandée par Dyson et réalisée par l’Institut de technologie du Massachusetts a établi que l’essuie-mains à usage unique, qui représente encore 75 % du marché, est le système le moins respectueux de l’environnement et le plus gros émetteur de CO2.
Source Le Monde