Buffy contre les Vampires sujet d’études universitaires

Posted on juillet 1st, 2009 in Séries by obi3fr

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L’héroïne éponyme de la célèbre série télé « contre les vampires» est devenue un très sérieux objet d’étude universitaire, une icône à la fois kantienne, nietzschéenne et lacanienne. Doan Bui a mené l’enquête

«En général, j’organise plutôt des colloques sur Wittgenstein. Alors, quand j’ai fait un appel à contribution pour une journée d’études sur Buffy, la tueuse de vampires, certains ont cru à un gag» Ce n’en était pas un. Sandra Laugier, normalienne, professeur de philosophie à l’Université de Picardie, spécialiste, entre autres, de métaphysique du langage, a une autre casquette : vampirologue. «Je ne suis visiblement pas la seule ! J’ai été très surprise de l’intérêt provoqué par un tel sujet, surtout chez mes collègues philosophes, qui semblent très attirés par la figure des vampires.»

Beaucoup de beau linge prévu donc, le 26 juin, à la Cité internationale universitaire de Paris, pour le séminaire «Buffy, tueuse de vampires», l’héroïne de la série télé de Joss Whedon. Le philosophe Jocelyn Benoist, spécialiste de Husserl et de phénoménologie; le romancier Tristan Garcia, jeune normalien et agrégé de philo, auteur de «la Meilleure Part des hommes», qui a reçu le prix de Flore 2008 ; Pascale Molinier, spécialiste du féminisme…

Au programme, plein de conférences aux libellés savants : «Buffy un fait adolescent total», «Formes du perfectionnisme : Buffy comme modèle moral», «Une perspective anthropologique : métamorphose et rapports entre générations dans Buffy». «C’est très difficile de parler de sexualité dans le milieu académique, plaisante Pascale Molinier. Alors la figure de vampire est très pratique. Le vampire n’a pas une sexualité orientée vers le coït et la reproduction. Il boit le sang, se repaît d’une odeur. C’est une sexualité partielle, au sens freudien. Ce qui gomme tous les clivages entre hétérosexualité et homosexualité. C’est le désir qui est mis en scène. La femme assume ses pulsions et n’est plus seulement objet : c’est d’ailleurs souvent le vampire, bref, la figure masculine, qui est l’objet du désir…»

Les forces du mal ont-elles donc définitivement envahi les austères couloirs de la Sorbonne et du CNRS ? Soyons honnête. De nos jours, une fac sans vampire, c’est un peu comme une Valérie Pécresse sans réforme. Dans «Twilight», la saga de Stephenie Meyer (dont le premier tome, «Fascination», adapté au cinéma par Catherine Hardwicke, est un triomphe), Edward Cullen promène dans les couloirs son teint blafard – il ne boit que du sang animal et se prive de sang humain, le pauvret ! – depuis cent sept ans et des poussières, son éternelle jeunesse le condamnant à une rentrée des classes perpétuelle.

Mais c’est dans la série culte «Buffy», diffusée sur M6 entre 1998 et 2003, dans une version atrocement doublée (d’où énorme trafic de DVD), que la logique est poussée jusqu’au bout. Le collège de Sunnydale est en effet situé sur une faille spatio-temporelle, la Bouche de l’Enfer – d’où intense déferlement de forces occultes. De sorte que le bibliothécaire de l’établissement – ah, qui chantera la noire beauté des CDI ! – est obligé d’employer à temps plein une tueuse dont le job est de zigouiller les vampires. Buffy est blonde, sexy plutôt médiocre scolairement, pom-pom girl, accessoirement adepte de kung-fu, et amoureuse du garçon qu’il ne faut pas puisqu’il est vampire. Un nouvel archétype platonicien ? La jouvencelle a depuis engendré nombre de clones, comme la cheerleader peroxydée de la série «Heroes», superhéroïne qui nous a valu la plus improbable baseline : «Save the cheerleader, save the world !»

Sur le web, Buffy tel un étrange objet oulipien, continue quant à elle de vivre mille vies via ses adeptes, qui, dans une vertigineuse production de «fan fictions», écrivent des suites plus ou moins farfelues aux aventures de leur héroïne. «Buffy a détourné tous les codes du teen movie : j’y vois une espèce de «Beverly Hills» gothique», dit l’écrivain Chloé Delaume, une vraie fan (elle a une réplique du pieu de Buffy le sabre Jedi de notre tueuse), qui s’est livrée elle aussi à l’exercice de la fan fiction avec «La nuit je suis Buffy Summers», un livre dont vous êtes le héros (1).

Tristan Garcia est également un aficionado de la première heure. «Le gothique n’a jamais été aussi populaire qu’aujourd’hui On est dans la société du tout-écran, de l’hypertechnologie, ce qui nourrit cette nostalgie pour l’ère d’avant la révolution industrielle, la fascination pour le romantique et l’archaïsant. D’où le succès de «Buffy», «Twilight», ou de «Harry Potter» dans un autre genre.»

Attention, cependant, de ne pas mélanger torchons et serviettes, vampires et vampires ! Pour la plupart, nos «buffyologues» ne sont pas franchement fans de «bit-lit» et autres «twilighteries». Selon eux, Buffy, avec ses expérimentations bizarres (un épisode muet, un autre entièrement chanté, des incursions k-dickiennes), serait à «Twilight» ce qu’«Ulysse» est à «la Bicyclette bleue». «Buffy, c’est l’émergence d’une des premières figures féminines autonomes. La blonde-objet devient enfin blonde-sujet, s’enthousiasme Tristan Garcia. «En plus, elle a un corps très sexué. Contrairement à d’autres héroïnes de la culture populaire comme Claude du «Club des Cinq», qui est un vrai garçon manqué, ou Fantômette, toujours masquée par son costume, qui se définit par son absence de corps», analyse Pascale Molinier.

Autre bizarrerie : au lieu d’être bêtement nietzschéenne comme toute ado rebelle, Buffy se révèle… kantienne. «Elle ne suit pas le principe de plaisir et reste toujours mue par un sens du devoir très fort : sauver l’humanité. Une belle incarnation de morale kantienne», dit Sandra Laugier. Pour en savoir plus, ces quelques articles américains : «Analyse kantienne du jugement moral chez Buffy» ou «Cosmologie multidimensionnelle chez Kant et Buffy»… Serait-ce son pieu ? Ses prises de kung-fu ?

La sémillante tueuse a en effet acquis la même aura universitaire que Jacques Derrida ou James Joyce. Les Buffy studies sont devenues un genre à part dans les facs avec des masters, des thèses en tout genre. Professeur de littérature anglaise à l’université, Rhonda Wilcox tient le site Slayageonline.com (tuerieonline.com), qui recense tous les écrits en «buffyologie». La bibliographie, longue comme le Mississippi, est un poème en soi. Des classiques gender studies à la sémiologie des médias, en passant par la philo, l’anthropologie, la sociologie, toutes les disciplines ont apporté leur écot à la Tueuse : «Le héros grec revisité», «L’intertextualité dans Buffy», «Le paradoxe aristotélicien et Buffy», «Buffy est-elle lacanienne ?», «James Joyce, Buffy et l’esthétique de la minutie». Ou, plus étrange, cette «Analyse postcoloniale de Buffy».

Explication de Rhonda Wilcox : «Les vampires sont souvent une façon d’incarner l’altérité. Dans le cinéma américain, ils symbolisent souvent les minorités ethniques Là, le coeur du fan, tremblant, s’arrête. L’invasion sans cesse recommencée de vampires. Une tueuse. Horreur ! Notre chère Buffy serait-elle donc en fait une nationaliste réac et bushiste ? «Au contraire, s’offusque Rhonda Wilcox. A la fin, on se rend compte que les Autres, c’est nous. Quant à Buffy, elle est sans cesse tiraillée par ses amours impossibles avec des vampires.» Un poltergeist de gauche emprisonné dans un rôle de garde- frontière : Eric Besson, sors de ce corps !

Source BiblioObs


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