The Pirate Bay rend la riposte graduée dangereuse pour tous !
Vous êtes confortablement installé dans votre canapé à regarder le film que vous venez de louer en VOD lorsque le facteur sonne à votre porte. « C’est pour un recommandé ». L’HADOPI vous informe que c’est la deuxième fois que votre accès à internet est utilisé pour télécharger illégalement un film sur BitTorrent. La prochaine fois, votre accès à Internet sera coupé. Vous n’avez pourtant rien fait d’illégal. Mais The Pirate Bay a donné par hasard votre adresse IP aux chasseurs de pirates. Bientôt sur vos écrans ?
C’est pour le moment un scénario de pure fiction. Mais ça pourrait ne plus être le cas si contre l’avis du Parlement européen, les sénateurs et les députés français acceptent de voter la riposte graduée que la ministre de la Culture leur présentera à la fin du mois dans son projet de loi Création et Internet.
Le projet de loi prévoit en effet de donner aux ayants droit la possibilité de collecter les adresses IP utilisées sur les réseaux P2P pour partager illégalement des oeuvres protégées. Les ayants droit pourront alors fournir le listing à la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), qui demandera aux fournisseurs d’accès à Internet d’identifier les abonnés dont l’adresse IP figure sur le relevé. L’Hadopi vérifiera alors si l’abonné est en situation de récidive et si oui, préconisera l’envoi d’une lettre d’avertissement en recommandé ou la suspension de l’abonnement à Internet du coupable. Mais encore faut-il que l’abonné soit effectivement coupable.
Comme l’ont démontré des chercheurs américains l’été dernier, il est très facile de truquer un réseau P2P pour fournir aux outils de collecte des adresses IP totalement fictives. En envoyant aux « chasseurs de pirates » l’une des adresses IP du réseau universitaire, ils ont ainsi reçu des plaintes pour un téléchargement soit-disant effectué par… une imprimante en réseau. Certains des outils utilisés par les sociétés mandatées par les ayants droit pour effectuer les relevés se contentent en effet d’interroger les serveurs (ou trackers) pour obtenir la liste des dernières adresses IP connues d’internautes ayant partagé le fichier piraté. Or ils ne procèdent pas systématiquement aux vérifications en interrogeant une à une chacune des adresses IP pour initier un téléchargement, et se contentent d’établir le « procès verbal » sur la fois du relevé communiqué par le serveur.
Or pour placer des bâtons dans les roues des chasseurs de pirates et les obliger à initier des téléchargements (ce qui est beaucoup plus lourd et coûteux, et juridiquement complexe), The Pirate Bay a décidé de polluer volontairement ses trackers en insérant au hasard dans ses listings des paquets entiers d’adresses IP prises au hasard, à partir de blocs d’adresses existants. Un abonné qui n’a jamais utilisé BitTorrent de sa vie peut ainsi voir son adresse IP apparaître sur le tracker et être pris dans mailles du filet des chasseurs de pirates sans autre vérification.
Si la riposte graduée était effective, des internautes innocents pourraient ainsi être condamnés sur simple décision administrative basé sur un relevé invérifié. En France, à notre connaissance, la procédure de collecte des adresses IP validée par la CNIL ne prévoit pas qu’un téléchargement soit initié pour vérifier que le suspect partage effectivement l’oeuvre pour laquelle son adresse est prélevée.
Confronté au problème, le ministère de la Culture a eu comme seule réponse, rapidement abandonnée, de proposer aux accusés de fournir à l’Hadopi une preuve de leur bonne foi en produisant leur disque dur vierge de tout fichier contrefait.
C’est notamment en raison de l’extrême fragilité des preuves que Numerama a choisi de s’engager en lançant l’iniative 60 Secondes Contre Hadopi. Les premiers participants ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, en choisissant pour la plupart de mettre l’accent sur la possibilité de pirater l’accès WiFi de son voisin.
Mais c’est aussi et surtout pour cette raison que le Parlement Européen a demandé que toute suspension de l’abonnement à Internet soit précédée d’un contrôle du juge de l’ordre judiciaire, et ne soit pas ordonnée sur simple décision administrative. Le juge judiciaire a en effet l’obligation de procéder à une vérification de la solidité des preuves apportées. Or si le gouvernement s’oppose à l’amendement 138, c’est bien parce qu’il craint que les droits de la défense des internautes puissent être respectés.
Source Numerama